LA TERRASSE PARTAGÉE
Il y a longtemps, je travaillais comme professeur à Majorque. Je donnais
des cours au Lycée JMT où j’avais été muté. J’habitais dans l’arrondissement de
Levante, rue de Can Capes. Ma petite amie, Marita, qui était majorquine, avait
loué un joli appartement construit en 1960, situé dans un édifice de quatre
étages et un rez-de-chaussée. La concierge, une veuve très commère mais
attentionnée, vivait en dessous, au rez-de-chaussée ; au premier étage, un
cuisinier qui préparait ses plats pour la ligne maritime Transmediterránea et
qui passait plus de temps à bord du bateau qu’à la maison ; au deuxième étage,
un couple gay d’Allemands à la retraite, tous les deux cadres de Deutsche Bank
; au troisième étage, Marita et moi. Finalement, au quatrième étage, vivaient
une mère célibataire d’âge moyen très sympa et son fils, Marcos, à l'âge
ingrat.
L’édifice avait une cour intérieure de 100 mètres carrés où l’architecte
avait prévu de construire une piscine et un petit jardin, bien que les
difficultés budgétaires aient empêché leur réalisation. Au printemps, le couple
avait demandé au propriétaire du bâtiment la permission d’utiliser la cour
commune pour s’amuser en cultivant un « charmant jardin partagé ». Quand Ulrich
et Gunther ont demandé aux voisins leur avis sur le projet, personne ne s’est
opposé. Au contraire, le plan est devenu un succès : la concierge a décidé de
cultiver de belles tomates, la mère de Marcos a essayé d’obtenir du persil et
d’autres condiments, Marita a acheté des pots de fleurs pour enjoliver la
terrasse et les Allemands ont transformé la cour en une petite jungle
tropicale. Deux mois après, à cinq heures, je venais de me réveiller de la
sieste quand tout à coup Marita et son amie Claudia, une jeune pharmacienne,
ont pris d'assaut la maison ; ma petite amie était au bord de la crise de nerfs
:
- Les
Allemands, cria-t-elle, les salauds ont cultivé un terrain de marijuana !
- Il n’y
a pas de doute, a remarqué Claudia, cette herbe-là, je la connais très bien !
Voilà la preuve (et elle a mis sur la table quelques feuilles arrachées).
Le lendemain, j’ai visité Ulrich et Gunther et j’ai soulevé la question.
- Le
terrain de culture de la terrasse, vous savez, ça ne me regarde pas, mais il
faudrait repenser l’affaire si je vois des gens bizarres monter et descendre
l’escalier à toute heure, le matin et la nuit, vous comprenez…
- Si
nous avons de la visite, est-ce que cela vous regarde ? Ont-ils répondu en duo.
- Tout à
fait, puisque nous partageons le bâtiment, de l’entrée jusqu’à la terrasse… Ou
pas ? Pensez-y bien !
Pendant six mois, l’accord sur l'honneur a été respecté. Un dimanche matin,
Marita est sortie à toute allure du balcon où elle prenait le petit déjeuner :
- Regarde
en bas, ce n’est pas possible ! Les deux tourtereaux, joints grâce à des
menottes, sont sur le point d’entrer dans une voiture de la police. Tu n’as
rien à voir, j’espère…
- Absolument
pas, je suis aussi surpris que toi.
La fin de la plantation : c’était la concierge, une femme tellement
curieuse, qui s’en était rendu compte. Quelques jours plus tard, l’enquête de
l’inspecteur Palomeque :
- Non monsieur l’inspecteur, nous ne savions pas du tout ce que nos voisins étrangers mijotaient. Ils avaient l’air de personnes très responsables… Mais, c’est la vie quand même.
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