LA PREMIÈRE FOIS…
La première fois que j’ai voyagé à « l’étranger » (un
concept qui n’existe plus aujourd’hui) fut quand j'ai fini le bac. J’avais 18
ans. Nous étions quatre amis du même cours qui décidèrent soudainement, comme
les pèlerins du Grand Tour, de « connaître l’Italie ». Antoine, Manuel, Óscar
et moi. À cette époque-là, les jeunes filles étaient des êtres vivants d’une
autre planète.
Le père de Manuel prêta à son fils sa voiture, une
Seat 1430, et un dimanche ensoleillé de juin, nous partîmes de Madrid. La
mémoire à long terme s’arrête à la cabine du ferry-boat qui nous amena de
Barcelone à Gênes en traversant le golfe du Lion. Je me souviens du sandwich au
jambon que nous y mangeâmes. Après, l’autoroute du Soleil, le petit port de
Rapallo, la pelouse brillante de l’ensemble historique de Pise, la grande place
de Sienne, les pizzas de Guido, les ruelles de Venise, le camping Michelangelo
à deux pas de Florence et, surtout, la merveilleuse église byzantine de Saint
Vital de Ravenne au bord de l’Adriatique.
À Ravenne, Óscar et moi partagions une tente de
camping. C’était le temps de faire des confidences à minuit. Mon camarade,
enveloppé dans son sac de couchage et à moitié ivre à cause du vin, me dit à
mi-voix que « finalement » il était prêt à me raconter un secret très intime
que je ne pouvais même pas imaginer… Il s’agissait d’un mystère qu’il m’avait
déjà annoncé pour la énième fois et qui, sincèrement, ne m’intéressait pas du
tout. Mais bon… je gardai le silence, réprimai un soupir et m’armai de patience
car j’étais sûr que pour rien au monde il ne se serait tu.
Mon Dieu ! Il avait tout à fait raison, je ne pouvais
pas imaginer ça, le cochon, le salaud, était éperdument amoureux de la même
fille adorable que moi ! Et, ce qui était encore pire, la méchante lui prêtait
attention ! Après, je sus que ce n’était pas vrai. Je ne pus m’endormir avant
de comprendre l’impossibilité métaphysique de ce que mon ami m’avait avoué. En
tout cas, je décidai de le mettre à la fin du voyage dans la liste des ennemis
dangereux. Quelques années plus tard, j’appris par sa meilleure amie qu’elle
s’était mariée avec un pilote d’Iberia.
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