Je
veux évoquer l’aura de certains livres de voyage qui ont donné un sens à mon
adolescence. Je retiens, en premier lieu, L’Odyssée, le retour héroïque d’Ulysse à
Ithaque depuis les plages ravagées de Troie, où les prétendants insatiables
dilapident sa fortune et assiègent son épouse. Peu de passages littéraires sont
aussi géniaux que l’enfermement et la mort des prétendants par l’arc précis de
cet Achéen fécond en ruses.
Je
me souviens aussi des Voyages
de Marco Polo, cadeau d’une tante généreuse pour l’Épiphanie,
qui nous transportèrent aux confins du monde, l’imagination inondée de magie et
de miracles, du Japon à Samarcande, de la Mongolie à la terre des tsars, et de
la steppe aux côtes africaines.
Ou
encore des Voyages de
Gulliver écrits par Jonathan Swift, où nous ne savions pas à
qui nous identifier, aux Lilliputiens, aux géants ou aux voyageurs prisonniers
de ces terres d’outre-mer où leurs coutumes insolites étaient finalement plus
sages que les nôtres.
Ou
les livres de Verne, parmi lesquels se distingue Vingt mille lieues sous les mers,
que j’ai relu de façon obsessionnelle et dont me fascine encore la philosophie
sociale du capitaine Nemo (« à six brasses sous l’eau disparaissent
l’infamie et la violence criminelle de la race perverse des hommes ») ou
la devise du Nautilus
(Mobilis in mobile,
mobile dans l’élément mobile), le sous-marin protagoniste du récit. Mon
grand-père m’a offert, pour avoir réussi l’entrée à dix ans, L’Île mystérieuse,
également de Verne, l’histoire d’un voyage en ballon qui finit en désastre et
donne lieu aux aventures attendues d’un groupe de naufragés sur les îles
vierges du Pacifique. La fin du roman, qui marque la dernière apparition de
Nemo, est la cerise sur le gâteau. Adulte, à mon grand regret, je n’ai pas
réussi à terminer ce livre auquel je dois tant d’affection et tant d’heures de
bonheur ; d’ailleurs, le fameux Voyage
au centre de la Terre je n’ai pu le finir ni enfant ni adulte.
À
la lisière de la jeunesse, j’ai tenté de profiter des livres de voyage du type Voyage en Alcarria de
Cela, des chroniques régionales de Delibes ou d’autres succédanés du genre. En
vérité, avec une simplification impardonnable, j’ai fini par me lasser des
récits plats où les couchers de soleil sont authentiques, tout comme les
vignobles, les chevriers, les places du village, les cantines, les récoltes de
luzerne et les chasseurs de perdrix.
Je
n’ai pas non plus apprécié, faute d’un savoir qui les soutienne, les chroniques
de voyage dictées par des navigateurs, diplomates ou témoins érudits du type
« Visions secrètes de l’Orient lointain » (je pense aux écrits de
Pierre Loti), ni les voyages qui ont fait l’histoire, du type « Magellan
et la circumnavigation du globe », ni du type plus actuel « Comment
nous avons conquis Mars » (les chroniques des voyages spatiaux de la NASA
sont un jargon techno-nationaliste imbuvable).
Enfin, je me suis beaucoup amusé avec des lectures de voyage aussi hétérogènes que Sur la route de Jack Kerouac, Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, Tristes tropiques de Lévi-Strauss ou le Journal d’un naturaliste autour du monde de Charles Darwin.
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